LES MÉCANISMES DE L’ADDICTION
« La majorité des dépendances s’installe à l’adolescence »
- famillechretienne.fr
- 25/01/2011
- Par Benjamin Coste
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Sommes-nous tous logés à la même enseigne face à l’alcool ou la drogue ? Pourquoi certaines personnes deviennent-elles dépendantes et d’autres non ? Et que faut-il faire pour s’en sortir ? Chef du service d’addictologie de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, le Dr Xavier Laqueille explique les mécanismes de la dépendance.
Quelles addictions rencontrez-vous le plus fréquemment dans votre service ?
Nous recevons beaucoup de personnes qui connaissent des problèmes avec l’alcool. Fait nouveau, de plus en plus de femmes se présentent à nous, ainsi que des jeunes que nous devons hospitaliser pour sevrage. Nous savions déjà que des jeunes s’alcoolisaient ; aujourd’hui, certains doivent suivre un traitement médicamenteux pour s’en sortir, ce qui prouve leur niveau d’intoxication. Nous assistons également à la banalisation de la cocaïne.
Mais l’évolution la plus nette que nous rencontrons ces derniers temps, c’est la demande accrue de soins. L’addictologie se banalise, les gens commencent à savoir qu’il existe des médecins spécialisés pour cela et que l’on peut être aidé. Ce phénomène est intéressant car notre principale difficulté réside dans le fait que les gens ne se soignent pas. Le fumeur aime fumer, l’alcoolique aime boire, le joueur aime jouer… Ils ne viennent donc pas consulter.
Quand franchissent-ils le pas ?
Le drogué, au sens large, vient quand il commence à rencontrer des problèmes. Ici, à Sainte-Anne, nous rencontrons des patients qui sont hospitalisés pour des pathologies multiples. Ainsi, certains viennent consulter pour des troubles psychologiques et, rapidement, il est possible de déceler également des problèmes d’addiction.
Il faut distinguer les personnes souffrant de dépendances socioculturelles, comme le tabac ou l’alcool, et celles qui souffrent de vrais troubles psychopathologiques. Les premières sont plus faciles à traiter car ces personnes sont structurées, même si l’on trouve parmi elles plus d’anxieux et d’angoissés que dans le reste de la population. En revanche, pour les secondes, la dépendance à une substance est entrée en résonance avec leur personnalité et leurs troubles.
Pourquoi devient-on dépendant d’une substance comme le tabac, la drogue ou l’alcool ?
Plusieurs facteurs peuvent mener à une dépendance. Il y a des facteurs psychopathologiques, biologiques, génétiques (tolérance au produit) et sociaux. Ainsi, parmi les fumeurs, deux tiers d’entre eux n’ont pas de problèmes particuliers. Mais ils sont néanmoins fumeurs. Ils ont donc été contaminés de manière sociale.
Je veux tordre le coup à une idée reçue : j’entends souvent dire que les gens boivent ou se droguent parce qu’ils ont des problèmes. Non, les gens boivent, se droguent ET ils ont des problèmes. Et avoir des problèmes est un facteur qui fait qu’ils boivent ou se droguent encore plus. Les personnes dépendantes disent qu’elles consomment parce qu’elles sont angoissées, anxieuses, qu’elles sont en manque… Non, elles consomment parce qu’elles ont envie de consommer et pour apaiser cette envie.
Vous rencontrez également des addictions sans substance…
Oui, nous croisons quelques personnes dépendantes au jeu, à Internet. Quelques personnes à la sexualité addictive également. Mais c’est marginal, car ils ne rencontrent pas de problèmes physiques qui les mèneraient à une demande de soins. Ces toxicomanies sont ainsi beaucoup plus difficiles à soigner car ces personnes sont beaucoup moins impliquées dans la thérapie.
Des personnes sont-elles plus vulnérables que d’autres ?
Outre les facteurs de vulnérabilité biologiques, psychologiques et sociaux, j’en citerais un quatrième : l’adolescence. L’adolescent va se construire par rapport aux toxiques : le tabac va par exemple lui donner une certaine contenance… C’est un moment de grande vulnérabilité dans l’existence d’une personne. C’est d’ailleurs à l’adolescence que s’installe la majorité des dépendances. Plus tôt elles s’installent, plus elles sont graves.
Parallèlement, sur le plan neurobiologique, le cerveau de l’adolescent est plus vulnérable aux toxiques. Avant 18 ans, le cerveau va développer une appétence d’autant plus forte pour le produit.
Nous pouvons également citer des facteurs génétiques. Très concrètement, certaines personnes ne supportent pas l’alcool. Tandis que certains sujets vous disent que fumer leur procure un grand plaisir.
Enfin, il y a des personnalités qui sont plus sensibles aux addictions : les personnes attirées par la transgression, celles qui s’ennuient facilement, et puis toutes les personnes atteintes de psychopathologies : troubles dépressifs, névroses… Tous les fumeurs ne sont pas des anxieux, mais un tiers d’entre eux ont un autre diagnostic sur le plan psychiatrique : troubles anxieux, dépressifs. Et selon certaines enquêtes, ils fument plus.
Est-ce que toutes les addictions mettent en jeu les mêmes mécanismes ?
Oui. On parle de système de récompense ou de motivation qui implique que le sujet recommence encore et encore à consommer. Il dépend d’un petit « noyau » au niveau de l’encéphale, ainsi que d’un neurone qui transmet la dopamine. Les substances comme la cocaïne ou les amphétamines activent cette transmission de façon directe ou de manière indirecte avec l’alcool, le cannabis, le tabac…
En même temps, les drogues lèvent un frein préfrontal. Celui même qui, lorsque vous mangez beaucoup de chocolat, va mettre en marche votre raison et vous dire d’arrêter avant d’avoir une crise de foie. Ainsi, avec la prise de substances, le système s’emballe. Par exemple, si on donne de la cocaïne à un rat, nous constatons que la réponse dopaminergique va être importante, qu’elle sera encore plus importante lors de la seconde prise et ainsi de suite. Le sujet a de plus en plus envie de consommer. Le mécanisme de tolérance inverse ne s’installe que plus tardivement et le sujet va devoir consommer plus de toxiques pour arriver aux mêmes sensations.
Ce qui fait le danger d’une substance, c’est le côté massif de l’effet. L’opium est moins addictif que l’héroïne, le vin est moins addictif que le whisky. En même temps, les substances sont recherchées pour cela. Ceux qui aiment le bon vin deviennent moins rapidement des alcooliques pris de tremblements le matin, que ceux qui boivent du pastis pur. C’est pour cela que nous sommes inquiets en voyant des jeunes prendre de la vodka comme leurs aînés buvaient de la bière ou du vin.
À quel moment peut-on parler d’addiction ?
La dépendance ne se calcule pas au nombre de verres, de joints, de cigarettes… Dans la presse, on parle souvent de consommation à risque : trois verres par jour pour les hommes, deux pour les femmes. Ces chiffres évoquent simplement le risque de développer de complications somatiques. Ainsi, une consœur tabacologue m’a parlé de jeunes patients dépendants qui fumaient trois cigarettes par jour. Il peut y avoir dépendance légère, modérée ou sévère.
En tant que psychiatre, nous cherchons à voir comment le produit s’insinue dans la vie du patient, sa capacité à s’en passer, le temps consacré à la recherche du produit. Lorsqu’un patient vient nous voir tout tremblant, c’est qu’il est dépendant depuis bien longtemps. Mais ce n’est pas parce qu’il y a absence de complication qu’il n’y a pas dépendance. La dépendance mesure la relation du patient avec le produit.
Peut-on guérir d’une addiction ?
Nous ne parlons pas de guérison mais de rémission. Celle-ci est précoce ou prolongée. Elle est précoce à partir d’un mois d’abstinence jusqu’à un an. Après un an, nous rentrons dans un processus de rémission prolongée. Nous sommes donc très prudents en la matière. Il est rare qu’un ancien alcoolique ou un ancien fumeur puisse avoir une relation « normale » avec le produit auquel il était dépendant. Un alcoolique en rémission qui reprend un verre a de grandes chances de replonger.
En quoi consiste le traitement ?
À pathologie au long cours, traitement au long cours. Le traitement va être initié par la demande de soins et les demandes de soins sont tardives. Car le désir du consommateur n’est souvent pas d’arrêter mais de contrôler sa consommation. Certains patients veulent boire moins, fumer moins… Mais c’est déjà une anomalie que de vouloir boire moins. C’est bien le signe d’une dépendance.
Notre objectif est de les faire venir le plus vite possible. Il faut donc une information bien faite et un système de soins adapté. Il y a quelques années, nous avions eu droit à une campagne intitulée « La drogue, c’est de la merde ». Je me souviens de la réaction d’une classe à qui elle avait été présentée. Sur les trente élèves, seuls deux ou trois avaient dit que cette campagne était « nulle ». Les mêmes dont on pouvait penser qu’ils connaissaient des problèmes avec la drogue. Cette campagne n’a fait que conforter les non-consommateurs dans leur opinion et ricocher sur ceux qui étaient vulnérables.
Ce système de soins doit être souple, réactif. Ici, à Sainte-Anne, nous proposons un rendez-vous avec un médecin spécialisé dès le lendemain de la première prise de contact. Dans un premier temps, nous évaluons la motivation du patient. Ensuite, nous allons nous intéresser au contexte du patient. Y a-t-il des psychopathologies associées ? Si le patient est venu, c’est qu’il était certainement un peu déprimé, angoissé. A-t-il des problèmes à la maison, au travail ? À l’issue de cette démarche, nous proposons une feuille de route à laquelle nous tentons de faire adhérer la personne. Notre problème est d’arriver à ce que les patients soient fidèles à leur rendez-vous. Souvent, ils nous échappent dès les premières améliorations. À cette démarche psychologique, nous adjoignons un traitement médicamenteux.
Que peuvent faire des parents pour prévenir d’éventuels problèmes d’addiction chez leurs enfants ?
Il est important d’essayer de repérer les enfants et les adolescents en difficulté. Je pense aux enfants instables, déprimés, anxieux. Souvent, nous sommes amenés à recevoir la famille du patient. Parfois, elle pense pouvoir s’en sortir toute seule et fait l’autruche. Cela représente un vrai frein à la thérapie qui nécessite une vraie prise de conscience du patient et de l’entourage.
Devant des enfants anxieux, le réflexe des parents est de vouloir les protéger. Or, quand on protège trop son enfant, on ne l’aide pas à mûrir. On ne demande pas aux parents de protéger leurs enfants ; on leur demande de les éduquer et de les armer pour affronter la vie. Ils doivent apprendre à lâcher leurs enfants. Ensuite, il faut que les parents puissent reconnaître qu’un problème d’addiction n’est pas un problème d’éducation, mais de médecin.
Est-ce que ces addictions disent quelque chose de la société actuelle ?
Bien évidemment. Nous ne sommes plus dans la Vienne des années 1900 qui était marquée par la névrose, le refoulement. Aujourd’hui, notre société, par ailleurs anxiogène, ne souffre pas d’avoir trop de limites, mais plutôt de ne pas en avoir assez. Nos contemporains ne supportent plus la frustration. Les dépendances aux substances n’existaient pas à ce niveau-là il y a cinquante ans.
Benjamin Coste
Bravo et merci à Pierre d'être intervenu sur RMC ce matin avant 11h dans l'émission "LEGALISER LE CANNABIS RAPPORTERAIT 1 MILLIARD A L"ETAT".
Etienne Apaire le Président de la MILDT avait besoin d'aide.Les thèses du Pr Pierre Kop sont les copiées collées de celle farfelues et très intéressées de George Soros.Le lobby de la drogue est vraiment puissant en France pour obtenir une telle émission radio.
Rédigé par : GEORGES -Emission RMC- | 03 août 2011 à 20:02
Merci pour cet article au ton juste et bon car porteur d'esperence de guerrison pour les personnes dependantes mais si la demande est grande pourquoi des etudiants en master de psychologie qui souhaitent se former en addictologie ne trouvent-ils pas de lieu de stage?
Rédigé par : Thomazo Veronique | 05 août 2011 à 11:46
Bravo à Georges pour sa paranoïa qui lui fait voir de puissants lobbys de la drogue partout et bientôt des sociétés secrètes pro-cannabis prêtes à conquérir le monde bouuuuh... Enfin Georges nous ne sommes pas aux Etats Unis donc il n'y a pas de lobby. Et si lobby il y avait je ne pense pas qu'il soit si puissant que ça, aux dernières nouvelles la France possède les lois les plus répressives de l'UE en matière de cannabis (dont la consommation est passible de prison!) et vu l'opinion des politiques français ce n'est pas demain qu'ils inscriront la légalisation dans leur programme électoral. Donc pas d'inquiétude il faut laisser s'exprimer les opinions même si elles sont opposées aux votre (même dans une émission de radio populaire) sans crier au loup à chaque fois (c'est ça la démocratie), le puissant lobby de l'alcool veille au grain ;-) Ps: Un des effets de la prise de cannabis est la paranoïa bah alors Georges?!? A bon entendeur...
Rédigé par : John B | 24 août 2011 à 17:10
@ John B
A bon les lobbys n'existeraient qu'aux États-Unis ?
Si Georges vous paraît paranoïaque, alors vous êtes d'une naïveté touchante.
Je vous encourage à visionner le dernier reportage de Cash Investigation sur France 2 diffusé le 7 octobre 2014 : "La grande manipulation de l'industrie du tabac". Vous y verrez comment les lobbys œuvrent en France et surtout à Bruxelles.
L'Union Européene étant une aubaine pour ces groupes de pression puisqu'UNE SEULE action de lobbying visant le parlement ou la commission européenne présente l'énorme avantage, lorsqu'une directive est adoptée, d'arroser 28 pays en une seule fois. Cela permet de modifier ou d'imposer des législations favorables à l'industrie concernée à quelques 500 millions de citoyens.
Un des effets du manque d'information peut être la candeur absolue.
La naïveté, c'est sympa de prime abord, mais ça peut également se confondre avec une certaine ignorance et ça empêche souvent de jouer son rôle de citoyen responsable.
A bon entendeur...
Rédigé par : Dufifi | 18 octobre 2014 à 13:04